Ne lisez pas ce qui suit si vous n’êtes pas un fan de rugby ! Autrement ça va vite vous barber, car je vais revenir en détail sur la finale du Super 14 qui a eu lieu ce samedi 27 mai…
Les Crusaders viennent donc de remporter pour la sixième fois la compétition majeure dans l’hémisphère sud, anciennement appelée Super 12, et avec Pécanio, on faisait partie des petits veinards à avoir assisté dans le Jade Stadium à ce nouveau triomphe de la province de Canterbury !
Certes, le brouillard était tel que l’on n’a rien vu du match (les joueurs non plus d’ailleurs), mais au moins, on peut dire que l’on y était ! En arrivant au stade, on a pensé que le match n’aurait jamais lieu, on ne voyait pas à plus de 20 mètres ! Mais, pour cause de calendrier trop chargé et de problèmes évident de logistique, il n’y avait d’autre solution que de jouer ce match… Le coup d’envoi fut donc bel et bien donné à 19h30 (cela n’aurait servi à rien de repousser le début du match car la météo ne prévoyait pas d’amélioration…). Vu des tribunes, on ne voyait même pas une moitié du terrain. Dès qu’il y avait une chandelle, le ballon disparaissait, et quand l’arbitre sifflait, il fallait attendre que la tribune la plus proche de l’action manifeste son mécontentement ou sa joie pour que l’on sache si l’on devait huer ou applaudir ! C’était complètement surréaliste !
Plus tard, la plupart des joueurs ont reconnu qu’ils n’avaient jamais joué dans de telles conditions ! Parfois, ils voyaient un ballon tomber du ciel, sans même savoir d’où il provenait ! Entre le brouillard, le froid et le ballon qui avait été rendu ultra-glissant, toutes les conditions étaient réunies pour que l’on assiste à une bouillie de rugby… Certes, ce fut une bouillie de rugby, mais ce fut tout de même un vrai match de rugby, avec son lot de coups de pied tactiques, de mêlées écroulées, de plaquages diablement féroces et de suspense insoutenable (pour les cardiaques et les supporters des Hurricanes). C’est dans ce genre de match que l’on distingue les vrais champions des très bons joueurs occasionnels. C’est dans ce genre de match, bien pourri à bien des égards, que l’on peut apprécier à sa juste valeur toute la classe d’une équipe comme celle des Crusaders… C’est l’équipe la mieux préparée : quel que soit le terrain, quel que soit la stratégie de l’équipe adverse, quelles que soient les conditions météorologiques, les Crusaders se présentent sur la pelouse en sachant qu’ils sont préparés pour gagner ; rien, absolument rien ne peut les contrarier ou ébranler leur confiance… Les Crusaders disposent de suffisamment de leaders (avec notamment l’ancien capitaine des All Blacks, Reuben Thorne, l’actuel capitaine des Blacks, Richie McCaw, et Aaron Mauger qui conduisit les Blacks à une reprise) et de joueurs expérimentés (à ceux précités, rajoutons le pilier Greg Somerville qui compte plus de 50 sélections avec les Blacks, Caleb Ralph qui a fêté il n’y a pas longtemps ses 100 matchs de Super rugby, ainsi que les valeurs sures des All Blacks que sont Chris Jack – l’un des meilleurs deuxième ligne au monde, si ce n’est le meilleur –, le numéro 8 Mose Tui’ilai, le prodige Dan Carter – sacré meilleur joueur du monde aux derniers IRB awards – la fusée Rico Gear à l’aile – meilleur marqueur d’essai du Super 12 l’an dernier –, ou encore l’arrière Leon MacDonald – probablement le meilleur arrière de la compétition, étant donné les prestations en dents de scie de Mils Muliaina et de Chris Latham) pour que les fondations tiennent quels que soient l’environnement et les joueurs impliqués. C’est ainsi que Wyatt Crockett, le jeune pilier des Crusaders (23 ans) qui effectuait là sa première finale, a avoué à la fin du match que durant la semaine précédent le match, il était extrêmement nerveux, mais qu’au contact de types comme McCaw ou Thorne, il sentait que rien ne pourrait lui arriver…
Le brouillard était peut-être d’une épaisseur incroyable, mais le plus incroyable, c’est qu’on aurait dit que les Crusaders s’étaient préparés toute l’année à jouer une finale dans un tel brouillard ! Même si le score fut serré jusqu’au bout (19-12 au coup de sifflet final), il ne faisait aucun doute que les Crusaders allaient remporter un nouveau trophée. Jamais la finale n’a semblé leur échapper, leur domination fut totale, du début à la fin. Certes, les Hurricanes ont tout tenté sur le plan offensif (mention spéciale à l’ailier Shannon Paku qui a démontré que sa place dans les rangs du XV de Wellington n’était pas usurpée) et bravement défendu leur ligne (de ce que j’ai pu voir, Jerry Collins, fidèle à lui-même, a été épatant), n’encaissant qu’un seul essai (à 20 minutes de la fin), mais contre ces Crusaders-là, il n’y avait rien à faire… Ils ont étouffé leurs adversaires du jour, comme ils le font très bien chaque week-end, et ce n’est pas la météo qui a contrarié leur plan… La frustration dans le camp de Wellington s’est rapidement faite sentir, Tana Umaga plaquant à retardement, Isoa Toeava perdant son calme sous les chandelles adverses, l’encadrement refusant de faire sortir le demi de mêlée Piri Weepu qui s’était pris un KO en début de partie (il confiera plus tard qu’il ne se rappelle pas avoir joué la finale !), et Ma’a Nonu échangeant quelques coups de poings avec Richie McCaw… Mais ce ne fut pas suffisant pour faire sauter les nerfs du magnifique capitaine des Crusaders et des All Blacks ! En effet, une fois de plus, Richie McCaw a donné l’exemple, étant à la pointe du combat tout au long de la partie, sans se laisser intimider, résistant aux provocations adverses sans jamais relâcher la pression sur ces malheureux Hurricanes… L’énergie qu’il a déployée dans les deux dernières minutes pour anéantir l’ultime offensive des Hurricanes – alors que la plupart des acteurs de cette finale était sur les genoux et que les Hurricanes jetaient vainement leurs dernières ressources dans la bataille – m’a impressionné plus que tout, bien que je connaisse depuis fort longtemps la valeur du formidable Richie. Chris Jack quant à lui fut impérial en touche, récoltant pas moins de 10 ballons dont 8 dans le second acte, tandis que Leon MacDonald et Dan Carter ont donné une leçon de coups de pied tactiques à tous les amateurs de ce sport. Ce même Dan a inscrit 14 points au pied (quatre pénalités et une transformation pour un seul tir raté me semble-t-il), ce qui relève de l’exceptionnel étant donné l’infime visibilité que l’on avait ce soir-là… La lucidité, le sang-froid et l’intelligence de jeu d’Aaron Mauger sont également à souligner (joueur dont on ne répètera jamais assez l’importance capitale qu’il a, aussi bien dans l’organisation du jeu des Crusaders que dans celui des All Blacks), tout comme la capacité à faire basculer un match de Casey Laulala qui a prouvé en y allant de son essai qu’il n’avait pas volé sa place chez les All Blacks.
Après avoir perdu sept anciens All Blacks au début de la saison (des joueurs tels que Justin Marshall, Andrew Mehrtens, etc.), la conquête d’un sixième titre semblait loin d’être gagnée d’avance pour les Crusaders.
Pour moi, et pour bon nombre d’observateurs, dès les premières journées, il ne faisait déjà plus aucun doute que l’équipe du Canterbury allait à nouveau s’imposer dans cette compétition. Lors de la deuxième journée, vers la mi-février, les Crusaders se déplaçaient chez les Reds, en Australie. J’étais au Fiddler’s, un pub irlandais à Auckland, pour suivre la rencontre. J’ai sympathisé avec le type qui buvait sa bière a côté ; il venait de Christchurch. Alors que les Crusaders étaient menés à la mi-temps, et qui plus est largement dominés dans tous les compartiments du jeu, j’ai dit à mon collègue d’un soir, « ça n’a pas l’air d’aller pour les Crusaders cette saison ! ». Le type buvait sa bière tranquille ; il n’avait pas du tout l’air affolé. Il m’a répondu, « non je ne me fais aucun souci ; notre équipe est la mieux préparée, on use l’adversaire et on fait la différence sur la fin… ». Le bougre avait raison : dans les 18 dernières minutes, les Crusaders ont scoré la bagatelle de 31 points, sans en rendre un seul, pour finalement s’imposer largement 47 à 21, avec le point de bonus à la clé !
M’étant régalé du spectacle offert par les rouge-et-noirs (chose dure à avouer pour un supporter des Auckland Blues comme moi !), je suis retourné au Fiddler’s le samedi suivant, pour assister au match entre les Crusaders et les Sharks de Durban. Mon pote de la dernière fois n’était pas là, mais ce qu’il m’avait dit était resté ancré en moi. C’est ainsi que j’avais un petit sourire en coin lorsque j’entendais la conversation entre les deux gars derrière moi, qui se régalaient de voir les Crusaders galérer de telle manière face à la modeste équipe des Sharks. Certes, les Crusaders étaient menés d’une dizaine de points à dix minutes de la fin, certes ils ne produisaient pas de jeu, mais au fond de moi, je savais qu’ils allaient finir par s’imposer… Les Crusaders eux aussi le savaient très bien : bien que leur jeu fut abominable plus d’une heure durant ce jour-là, ils n’ont jamais paniqué, jamais abdiqué, et n’ont pas changé leur stratégie, persuadés que les efforts qu’ils avaient fournis jusque là allaient s’avérer payant au bout du compte et que leur plan de jeu allait les mener à un nouveau succès… C’est cette inébranlable confiance qui leur a permis lors de cette rencontre d’inverser la tendance et de revenir au score grâce à un essai de Rico Gear en bout de ligne. Il restait alors cinq minutes à jouer, les Sharks n’avaient plus qu’un point d’avance, et même s’ils défendaient corps et âme leur maigre avance, l’issue de la rencontre ne faisait plus aucun doute… Lorsque Dan Carter claqua un drop de plus de 40 mètres à une poignée de minutes de la fin pour offrir la victoire aux siens, il n’y eu aucune manifestation de joie superflue dans le camp des Crusaders. La victoire leur avait semblé logique – les joueurs des Sharks ne partagèrent pas cet avis, à en croire leurs têtes déconfites au coup de sifflet final, têtes qu’ils ont laissées traîner dans l’herbe du Canterbury pendant de longues minutes – mais ils savaient que ce n’était qu’une étape à franchir et que la route serait encore longue avant de soulever un nouveau trophée…
Depuis ce jour-là, je voulais écrire un message sur le blog en expliquant pourquoi les Crusaders allaient être à nouveau champions, en dépit de tous les changements intervenus à l’intersaison. Je ne l’ai pas fait, mais leur saison a été si exemplaire (tant au niveau du jeu proposé, que de la gestion de l’effectif et de la maîtrise de tous les éléments extérieurs) que je me sentais d’écrire un message pour dire à quel point les Crusaders sont sublimes ! Et je peux à présent dire que je les ai vus, pour de vrai ! (Enfin, presque…).